Dans la presse, sur le web...
Pour éviter l'apparition du cancer : la médecine
personnalisée
Interview
parue sur le site La maison du cancer
(30 avril 2012, Propos recueillis par Cécile Cailliez)

Prévenir
le cancer, un rêve inaccessible ? Cest en tout cas
celui du dr Jean-Claude Lapraz, praticien depuis plus de 40 ans
qui, avec des médecins français et étrangers,
mène des travaux pour une autre approche de la médecine.
Dans un livre récemment publié, il défend
notamment la prise en compte du patient dans sa globalité
et son individualité. Entretien..
LMC : que pensez-vous de l'approche
actuelle du traitement du cancer ?
En quelques décennies, de très grands progrès
ont été enregistrés dans lidentification
des anomalies qui génèrent la cellule cancéreuse.
Cependant, la médecine reste confrontée à
des problèmes majeurs, tant au niveau de la prévention
du cancer que de celui des espoirs apportés par les nouveaux
traitements. Ces derniers nempêchent pas la survenue
parfois rapide de récidives ou font preuve dune inefficacité
inattendue.
LMC : comment expliquer une telle réalité
?
Nous sommes confrontés à une médecine désintégrée
où lindividu est de plus en plus effacé, au
bénéfice de la seule maladie. Lhomme nest
plus quun assemblage disparate de gènes, de cellules,
dorganes, de fonctions dont on narrive plus à
voir les liens qui, en les unissant, permettent le fonctionnement
équilibré et harmonieux de lorganisme. Cette
médecine morcelée peut mener à bien des erreurs
dincompréhension de la réalité de ce
quest un être humain. Il est temps de réintroduire
le malade dans toute sa complexité au centre du système,
en cancérologie comme dans toute spécialité.
LMC : votre vision de la médecine
repose sur l'endobiogénie. De quoi sagit-il ?
Lendobiogénie considère que le médecin
ne doit pas se borner à traiter la seule maladie, mais
quil doit aussi prendre en compte le malade en lui-même
dune part, et face à sa maladie ainsi quau
traitement. La maladie nest pas simplement un accident déclenché
par un seul facteur : gène, virus ou autre. Cest
dabord un signal indiquant que « quelque chose »
sest déréglé dans lorganisme
du malade. Pour ramener léquilibre dans cet organisme
« déséquilibré », il faut comprendre
comment marchent les mécanismes qui gèrent son fonctionnement
et qui contrôlent lautoprotection et lautoréparation
de chaque individu. A partir de là, nous pouvons mettre
en place une stratégie thérapeutique véritablement
adaptée, et aider lorganisme à retrouver son
état déquilibre et à combattre la maladie.
LMC : l'endobiogénie est directement
rattachée à la notion de "terrain". Ce
concept est très présent dans les médecines
traditionnelles, mais que regroupe-t-il selon vous ?
Selon la médecine, le terrain est « l'ensemble des
facteurs génétiques, physiologiques, tissulaires
ou humoraux qui, chez un individu, favorisent la survenue d'une
maladie ou en conditionnent le pronostic ». Cela implique
la nécessité de considérer l'homme comme
un tout cohérent qui doit sans cesse s'adapter. Il faut
analyser les divers éléments qui constituent cet
ensemble, comprendre ce qui le gère, du niveau le plus
élémentaire, au niveau moléculaire, puis
au niveau du noyau, du cytoplasme, de la cellule, des tissus (ensemble
de cellules), des organes, jusquaux systèmes et aux
fonctions qui les lient, permettant à la vie de se maintenir.
LMC : en quoi votre approche intégrative
de la médecine change-t-elle le regard sur le cancer ?
Quand on a compris que chaque individu a son mode de fonctionnement
physiologique propre, on comprend mieux pourquoi deux hommes présentant
apparemment le même cancer de la prostate et soumis à
un traitement chirurgical et chimiothérapique identique
auront une évolution radicalement différente de
leur maladie. L'un des deux guérit définitivement
tandis que l'autre développe très rapidement des
métastases osseuses et meurt quelques mois plus tard. Comment
expliquer de telles différences si ce n'est par l'état
de leur terrain ?
Le cancer n'apparaît pas par hasard. Il est la conséquence
de dérèglements complexes qui impliquent les organes
et les fonctions qui assurent la vie, et en tout premier lieu
le système hormonal qui est le grand gestionnaire et architecte
des phénomènes à luvre dans notre
corps. Dans le silence profond de notre organisme, chaque jour,
sous contrôle de ce gestionnaire, un système de veille
nous protège du risque que des cellules cancéreuses
ne se créent et ne se transforment en tumeur. Mais si ce
système de protection naturelle perd peu à peu de
son efficacité alors, au bout d'un délai plus ou
moins long, la tumeur devient apparente. L'organisme du malade
est donc totalement impliqué dans l'apparition du cancer.
LMC : dans votre livre, vous dites qu'une
tumeur peut mettre jusquà 8 ans, dans le cas dun
cancer du sein par exemple, avant de devenir détectable.
Que se passe-t-il pendant ce laps de temps ?
Lorganisme, selon léquilibre physiologique
dans lequel il se trouve, crée des conditions qui vont
permettre quune cellule normale se cancérise sous
laction dun gène anormal, dun virus ou
dune autre cause. Il existe un temps plus ou moins long
pendant lequel lanomalie cancéreuse nest pas
visible, cest la première étape dite «
phase préclinique ». Cette phase peut durer effectivement
des années, pendant lesquelles une cellule initiale anormale
va subir, plus ou moins vite selon létat global du
patient, une trentaine de doublements cellulaires au terme desquels
le cancer sera détectable : cest alors la phase dite
clinique où la tumeur devient visible. Tout lenjeu
de la cancérologie moderne est de comprendre quels mécanismes
se mettent en place et permettent lapparition de clones
cellulaires anormaux et leur échappement au contrôle
général de lorganisme.
LMC : peut-on aujourd'hui détecter
et ainsi traiter les cellules cancéreuses dès cette
phase préclinique ?
Aujourd'hui, la médecine nest pas encore en mesure
de détecter la présence dun cancer tant que
la masse des cellules cancéreuses na pas atteint
le poids d'un gramme. La détection actuelle se limite à
voir la tumeur lorsquelle existe déjà. Or
la vraie prévention doit se situer bien en amont de la
détection. Elle doit comporter la recherche et la correction
de tous les éléments qui ont agi sur la cellule
initialement anormale pendant les nombreuses années au
cours desquelles le cancer s'est développé dans
l'ombre.
LMC : lapproche endobiogénique,
basée sur lidentification des forces et des faiblesses
dune personne, permet-elle de détecter larrivée
et/ou lévolution dun cancer ? Même avant
la phase de détection ?
Prenons lexemple dune femme dont la mère,
la grand-mère et une sur ont présenté
un cancer du sein. Il lui est possible aujourdhui de faire
un test génétique pour détecter si elle risque
de développer un jour, elle aussi, un cancer. Si cest
le cas, que lui proposera son médecin ? Il est bien désarmé
: une surveillance accrue, davantage de contrôles pour détecter
le plus tôt possible que la maladie sest déclarée.
Mais en quoi cela va-t-il changer la réalité ? En
fait, ce type de surveillance se borne à constater que
le risque sest transformé en un cancer bien réel.
L'endobiogénie permet elle une approche globale pour tenter
de mieux comprendre les anomalies qui ont participé à
lapparition et au développement de cette maladie.
Si les déséquilibres du terrain de cette patiente
ont été identifiés au préalable, la
médecine personnalisée permet de mettre en place
des traitements adaptés à leur correction dans lespoir
déviter lapparition de la maladie.
LMC : Aujourd'hui, êtes-vous en
mesure de prévenir les cancers de patients qui viennent
vous consulter ?
Attention, il faut être prudent pour éviter les
faux espoirs. Je suis persuadé que notre approche permettrait
de mieux prévenir les cancers. Cependant, pour lheure,
la médecine na pas mis en place de travaux qui sappliqueraient
à rechercher et à comprendre pourquoi chaque individu
développe un cancer qui lui est propre. Nous manquons d'une
première étude scientifique pour confirmer la pertinence
d'une telle proposition.
LMC : vous êtes un grand défenseur
de la phytothérapie clinique. En quoi consiste-t-elle ?
La phytothérapie clinique remet les plantes médicinales
sur le devant de la scène, dans un cadre thérapeutique
défini par un praticien. Lorsqu'un patient arrive dans
mon cabinet, j'établis un diagnostic précis de son
terrain, à travers des outils classiques comme un bilan
sanguin complet, mais aussi une écoute attentive des divers
symptômes dont il souffre (stress, insomnie...). A partir
de là, j'utilise la plante médicinale comme principale
arme thérapeutique car c'est un moyen de traitement mieux
adapté à la physiologie du corps. Et c'est seulement
si l'organisme n'est pas à même de répondre
à ce traitement qu'un remède pharmacologiquement
plus actif doit être prescrit.
LMC : la médecine personnalisée
est encore peu reconnue en France. Pourquoi ?
Nous sommes dans un système de pensée très
fermé avant tout orienté vers la recherche de la
molécule unique censée détruire la cellule
cancéreuse. La médecine personnalisée remet
en cause le bien-fondé de cette approche exclusivement
standardisée. Elle propose de réserver lutilisation
trop massive des médicaments à ceux qui en ont réellement
besoin. Elle réintroduit les plantes médicinales
comme moyen de traitement prioritaire.
Nous sommes donc bien loin des objectifs poursuivis par les recherches
actuelles orientées essentiellement vers la création
de médicaments dits personnalisés. Ces derniers
constituent un réel progrès car ils permettent dobtenir
de meilleurs résultats qui pourraient cependant être
largement supérieurs si l'on mettait en place en parallèle
des traitements personnalisés ciblés sur le malade.
Dans ce but, nous avons été amenés à
développer un réseau de praticiens formés
à lendobiogénie ici en France mais aussi en
Angleterre, aux Etats-Unis, au Mexique, en Tunisie, et la Chine
nous a sollicités récemment pour mettre en place
des formations.
LMC : notre système de santé
connaît une véritable crise. Nous manquons de soignants,
de temps, de financements. La mise en place d'une médecine
aussi personnalisée que celle que vous défendez
est-elle bien réaliste ?
La médecine personnalisée demande du temps, certes.
Mais que penser dun système de santé aux traitements
standardisés qui grèvent les budgets sans apporter
les résultats attendus ? Et de tous ces médicaments
standardisés que lon retire du marché au bout
de quelques années ? Le moment nest-il pas venu de
repenser les options qui fondent notre système de santé
actuel, et de les élargir en replaçant le malade
au centre du système.